Fanny Auger

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Fanny Auger

"Si le plan A ne fonctionne pas, il reste 25 lettres dans l’alphabet”. Fanny Auger les a beaucoup pratiquées, ces autres lettres : depuis toute jeune, elle mène sa vie au gré de ses lectures, ses envies, ses rencontres, apprenant à chaque étape à “imposer sa chance”, en s’affranchissant des codes et en assumant sa différence.
Elle a travaillé dans le luxe, la mode, l’écriture, avant de lancer son projet “Lettres à inconnu” puis a ouvert à Paris la School of Life, qu’elle dirige aujourd’hui depuis presque 3 ans, tandis qu’elle vient de terminer son premier livre sur les conversations créatives. Rencontre avec la plus punk des directrices d’écoles.
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Fanny, toi qui enseignes l'art de la conversation, j'ai bien envie pour le début de cette interview de te demander quelques conseils ?
Pour engager une conversation, je demande rarement « Comment ça va ? », je vais plutôt faire un petit compliment sur la couleur d’une veste, une paire de boucles d’oreilles... Valoriser des petits détails, mettre en valeur quelque chose chez l'autre qui n'est pas là par hasard, c'est forcément le début d'une anecdote, d'une histoire. Ensuite, il faut aussi savoir mouiller sa chemise en se risquant à poser des questions inattendues, sur lesquelles les gens vont rebondir. C’est une bonne manière de briser la glace. Par exemple, à quelqu’un que je connais déjà je préfère demander « Qu’est-ce qui t‘inspire en ce moment ? » plutôt que « Quoi de neuf ? ».
Ensuite, on pense que la conversation est quelque chose d’assez inné et que les choses peuvent se faire toutes seules mais en réalité avant même de commencer à parler, il faut penser à trois ingrédients essentiels :
L’envie :Est-ce que tu as envie ce jour-là, d’avoir une bonne conversation ? Et si ce n’est pas le cas ou que tu sens que la personne en face de toi n’a pas envie - même si je crois beaucoup à la sérendipité - il vaut mieux éviter.
L’écoute : La manière dont tu regardes ton interlocuteur et l’attention que tu lui portes est très importante.
L’ouverture : Pour moi, toute personne que je rencontre est source de révélation potentielle, il ne faut jamais juger les gens trop vite. Et ensuite quand l’envie est là, ça donne de petites étincelles, c’est un peu ça une conversation. Ce sont des idées que je donne dans le livre que j’écris en ce moment dans lequel chacun pourra puiser. Ce livre est le résultat de tes nombreuses expériences alors commençons par le début.

Où as-tu grandi et quel enfant étais-tu ?
J’ai grandi en Lorraine à la campagne et ça a été une vraie chance, ça m’a permis d’avoir une enfance saine. J’ai développé un univers de lectures, de « pestacles » que je montais avec mes frères et soeurs, je connaissais tous les héros de la mythologie grecque… On vivait dans une zone classée ZEP donc au collège et au lycée, c’était un peu la guerre, c’était très chaud ! Je me suis retrouvée complètement en décalage avec les autres jusqu’à l’âge de 18 ans. Je n’avais pas d’amis, je passais mes récréations cachée dans les toilettes à lire des livres !

Qu’est-ce qui t’a permis d’assumer cette différence aussi jeune ?
Ma mère me disait toujours « Attends et ton temps viendra ». Et mes lectures m’ont vraiment portée et m’ont aidée à résister à l’enlisement et au lissage que veut l’école, qui m’aurait poussée à porter un jogging trois bandes et à écouter du rap pour faire comme tout le monde. Mais c'est vrai que je me sentais tout le temps "la fille à contretemps". Ce qui est bien, c'est que ça m’a aussi appris à porter un autre regard sur le monde, à comprendre les gens, à développer une intelligence émotionnelle et à prêter attention aux détails. Et quand je suis arrivée en hypokhâgne à Metz, j’ai rencontré tous les autres vilains petits canards de la région et ça a été une vraie révélation ! 

Tu as réussi le concours la première fois que tu l’as passé ?
Non, la première fois, je l’ai raté ! J’ai pleuré pendant une demi-heure et j’ai décidé de le repasser en le préparant consciencieusement pendant un an et je l’ai eu. Suite à quoi j’ai intégré un grand groupe cosmétique où je suis restée presque trois ans. Mais il me manquait quelques chose... J’ai eu un chagrin d’amour et comme je voulais partir à l’étranger,  j’ai signé un contrat avec un grand groupe de parfumerie et je suis partie vivre à Dubaï pendant 5 ans et demi.

À quoi ressemblait ta vie à Dubaï ?
J’étais directrice commerciale dans le parfum puis directrice marketing dans la mode. À 30 ans, je gérais l’ouverture de nouvelles boutiques, je rencontrais plein de gens intéressants, j’avais de grandes responsabilités et je me suis éclatée. J’avais des amis venant du monde entier et je me sentais vraiment épanouie. Je vivais aussi dans un certain confort, j’avais un appartement immense, je gagnais très bien ma vie… Toute cette expérience m’a vraiment permis de prendre confiance en moi pour rentrer en France et me lancer dans un nouveau projet.

Qu’est-ce qui t’a fait quitter ce confort ?
Pour moi l’argent et la reconnaissance n’ont jamais été un moteur. Et même si cette ville est dingue et que les fêtes y sont incroyables, il y a beaucoup de fake et je pense que si tu restes trop longtemps à Disneyland tu deviens toi-même un Mickey.
 
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« Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront. »
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En rentrant en France, par quoi as tu commencé ?
J’ai eu envie de revenir à mes premiers amours : l’écriture, et en particulier le genre épistolaire. C’est comme ça que j’ai eu l’idée de lancer « Lettres d’un inconnu ». Je voulais donner la parole aux gens en leur demandant d’écrire une lettre et de partager une histoire. J’en faisais de belles reproductions que j’envoyais aux abonnés dans de belles enveloppes. J’ai tout de suite eu de super retours de la presse et des milliers de gens se sont abonnés dans le monde entier. Mais comme je ne suis pas du tout à l’aise avec la stratégie financière, j’ai « échoué » financièrement. De manière personnelle, par contre, je l’ai vécu comme une réussite : je ne sais pas où j’en serais aujourd’hui si je n’étais pas allée au bout de ce projet. J’avais besoin de dire ça au monde. Il fallait que je le fasse, c’était nécessaire.

Quelle leçon as-tu tirée de cette expérience ?
J’ai appris qu’il faut faire attention à la partie financière, que l’argent n’est pas sale. J’ai appris que c’est une chance folle de se donner à fond dans un projet, c’est l’occasion de se nourrir de rencontres et de conversations. Et j’ai appris le pouvoir du réseau, des amis qui viennent t’aider à fermer des enveloppes quand tu ne t’en sors plus, qui t’épaulent au quotidien. Ça m’a aussi inspiré un cours que je donne à la School of Life qui s’appelle le plan B. Si le plan A ne fonctionne pas il reste 25 lettres dans l’alphabet. Aujourd’hui, je ne suis pas sûre qu’il faille tout miser sur une stratégie à long terme car 1000 choses peuvent faire que ça ne fonctionne pas. Je pense que c’est une somme de petits pas qui permettent de rebondir, de s’enrichir et surtout d’être en phase avec ce que l’on veut à un moment donné.

Tu as ensuite ouvert la School of Life à Paris en 2014. Qu’est-ce qui t’a motivée à partager tes expériences et à ouvrir cette école ?
Quand j’ai découvert la School of Life à Londres, je me suis dit qu’il manquait un espace comme ça à Paris. Un lieu ouvert où les gens viendraient prendre un petit cours pour se booster et s’inspirer. Et j’aimais bien le côté culturel de ces rencontres car l’aspect « développement personnel » me parle beaucoup moins. Je n’aime pas les « il faut » et les discours culpabilisants. L’idée de la School of Life, c’est d’être une école où l’on enseigne aux adultes tout ce qu’ils n’ont pas appris à l’école : les relations humaines, la confiance en soi, le développement de son potentiel...  C’est aussi un lieu qui permet à chacun de rencontrer des gens inspirants et de parler de littérature, de culture et d’expériences, de manière très accessible. On donne des idées et au bout du compte chacun fait ce qu’il veut et ce qu’il peut.

Tu donnes plusieurs cours notamment « les conversations créatives ». De quoi s’agit-il ?
La créativité est un sujet qui m’habite. C’est que qui nous permet de faire ce qu’on a à faire tous les jours de manière différente. Dans le quotidien, on peut tous être créatifs que l’on soit sage-femme, comptable, prof… C’est une façon de s’épanouir, de ne pas s’ennuyer et de ne pas ennuyer les autres. Ça passe aussi par le fait de trouver un but et de trouver du sens, de trouver son WHY comme dirait Simon Sinek. Se connaître soi-même, c’est le travail d’une vie. Je parle d’ailleurs souvent de JK Rowling, l’auteure d’Harry Potter, qui a connu beaucoup d’échecs avant de connaître le succès. Elle dit :« On ne peut pas véritablement se connaître soi-même, ni éprouver la solidité de ses attaches, si on n'a jamais franchi l'épreuve de l’adversité. »
Moi j’ai connu « l’échec » de Lettres d’un inconnu et j’ai vécu une année difficile suite à la perte de mon meilleur ami. J’ai perdu un pilier dans ma vie mais le fait de le reconnaître et d’en avoir conscience me rend invincible et je me sens forte comme je ne l’avais jamais été. Ça me permet de tout relativiser. Je sais que j’ai la capacité de rebondir, je vais continuer à le faire et je crois vraiment à la notion de sérendipité.

Aujourd’hui, tu gères la School of Life, tu donnes des cours en entreprises, tu écris un livre, comment mènes-tu toutes ces activités de front ?
En ce moment c’est intense, je travaille énormément mais je me sens portée par une énergie car je me sens épanouie dans ce que je fais et ça marche. On vient de déménager la School et il faut que je trouve un nouveau lieu. En attendant, on va donner des cours en mode pop-up dans de super endroits. Quand j’ai su que je devais déménager, la « Fanny-première-de-la-classe » n’aurait pas dormi et aurait cherché un nouvel endroit sans relâche pour emménager tout de suite mais aujourd’hui je me dit « Everything is gonna be alright ». J’ai eu beaucoup de choses à gérer ces derniers mois donc je vais prendre le temps de trouver le bon lieu au bon moment. C’est ce que la vie m’a appris. Tu peux pousser les murs mais si ce n’est pas le bon moment, il faut prendre le temps.

Quelle est ta définition du bonheur ?
Je suis un peu à contre-courant là-dessus. J’en ai ras-le-bol qu’on parle de bonheur. Le bonheur au travail, la psychologie positive, tous ces livres… Tous ces concepts de bonheur culpabilisent les gens car en réalité personne n’est totalement heureux, je ne connais personne comme ça. Moi je crois aux moments de joie, au rayon de soleil qui te rappelle que la vie est belle. Le bonheur c’est ici et maintenant. Il faut saisir ce qu’il y a à saisir et essayer de contribuer à quelque chose de plus grand que nous.

Quels sont les conseils de vie que tu cultives le plus ? 
La citation qui a bercé toute ma vie c'est : “Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront” de René Char. C’est le résumé de ma vie . Je conseille à tout le monde de cultiver son étrangeté, car c'est ce qu'il y a de plus unique et de plus riche en nous.  Quand on est jeune, les autres trouvent nos différences bizarres. Quand on grandit, ils les trouvent intéressantes, mais quand même bizarres. Et quand on s'assume vraiment, ils les trouvent géniales ! C'est drôle, non ? Et ce qui est génial, c'est que la société évolue de plus en plus dans ce sens. 

Le site de Fanny pour en savoir plus.
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« On ne peut pas véritablement se connaître soi-même, ni éprouver la solidité de ses attaches, si on n'a jamais franchi l'épreuve de l’adversité. »

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